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Nicolas Cano, Alibaba « L’avenir du luxe sera asiatique, notamment chinois »

Entretien avec Nicolas Cano, Responsable du TMall Fashion & Luxury en France pour Alibaba Group, dans le cadre de la nouvelle série “Demain Les Marques…” sur l’avenir du luxe. A lire ou à écouter.

Comment l’industrie du luxe a-t-elle réagi face à la crise en Chine ?

L’impact de la crise a été inédit pour cette industrie qui est très globalisée et très dépendante de la consommation chinoise. Il faut savoir que les consommateurs chinois représentent 35% de la consommation du luxe et représenteront 45% à horizon 2025. En 2019, la Chine a contribué à 90% de la croissance du secteur du luxe. L’impact financier sera important. Le cabinet Bain prévoit en effet une contraction annuelle entre 22 et 25%.

On assiste à des réalités différentes en fonction des tailles et des budgets des marques. Les grands acteurs, avec une base financière solide, tiennent le choc. Les petites structures, surtout celles qui dépendent de circuit de distribution wholesale (grands magasins, multimarques) vont devoir accélérer leur passage en magasin en propre. Pour intégrer la marge distributeur et avoir accès direct au client final et à sa data.

La crise touche aussi la supply chain et la communication. La supply chain a fait preuve de résilience. Elle s’adapte et évolue avec la fermeture partielle ou totale des sites de production. L’Italie, qui par exemple concentre 40% de la production mondiale de produits de luxe, est à l’arrêt complet. L’accès à certains composants qui étaient produits en Chine (zip, boutons pour la mode) est plus difficile. Concernant la communication, avec l’annulation de tous les événements offline, les fashion week, les salons professionnels…, les marques revoient leur manière de communiquer. Les fashion week vont laisser place à de nouveaux formats plus digitaux. L’essor du e-commerce est aussi essentiel. En témoignent les derniers chiffres de L’Oréal avec une croissance de son e-commerce mondial de 52% au 1er trimestre 2020, qui pèse maintenant 20% du CA mondial du groupe. Certaines marques ont ainsi accéléré leurs projets e-commerce en Chine. On peut rester très positif quant l’avenir du luxe et à sa capacité à rebondir face à cette crise inédite.

Quels sont les signes positifs observés en Chine qui témoignent d’une reprise pour le luxe ?

On observe un élan positif en Chine. Une étude Mc Kinsey réalisée en avril 2020 indiquait que 42% des consommateurs chinois s’attendaient à ce que leurs dépenses ménagères augmentent durant le mois. Et ils privilégiaient les domaines de l’épicerie, de l’équipement ménager, du divertissement à domicile et du fitness. Phénomène qu’on retrouve d’ailleurs en Europe. Certaines verticales vont donc décoller voire s’accélérer de façon numérique. Ce phénomène de « Revenge Shopping » (dépenses de vengeances) est le premier signe d’une résilience des consommateurs chinois, premiers consommateurs de luxe dans le monde. L’avenir du luxe est rassurant.

Depuis fin mars, les mall ont ré-ouvert au 3/4, et nous observons déjà un retour des consommateurs. Quelques exemples. La réouverture de la boutique Hermès aurait généré 2,7 millions de dollars en un jour. Cartier a ouvert son flagship sur Tmall Luxury Pavilion, pour offrir à ses clients en ligne la même et unique expérience que la visite dans un point de vente physique. Burberry lors d’une session livestreaming sur Tmall a convié la KOL chinoise Yvonne Ching. L’objectif étant de faire découvrir aux consommateurs les nouveaux produits de la collection dans le cadre de la boutique de JinJan. Résultats : 1.4 millions de vues pour ce Livestream et des produits sold out et ce, dès la première heure. Montblanc, Piaget ou Prada ont même ouvert sur T-Mall Luxuary Pavilion en pleine crise du Covid.

Les grands groupes de luxe font aussi preuve de résilience, notamment lors de la présentation de leurs résultats trimestriels. LVMH, Kering ou Monclerc ont annoncé des résultats en baisse de 15% sur le 1er trimestre, qu’on aurait pu imaginer bien plus bas. L’Oréal affiche une baisse limitée de 4,8% au 1er trimestre. Et le groupe Hermès une baisse de 7%. Quant à LVMH, le groupe annonce une hausse de 50% de CA en Chine au mois d’avril. Les 1ers signes positifs arrivent bien de Chine.

Comment l’industrie du luxe se réinvente-t-elle pour réenchanter les consommateurs après cette période de crise ?

En Chine, les marques essayent d’anticiper les nouveaux comportements des consommateurs qui sont au cœur de leurs stratégies. Elles se réinventent dans leur façon de communiquer, avec de nouveaux formats digitaux. La fashion week de Shanghai associée T-mall a été digitalisée par exemple pour rendre l’événement accessible depuis Tmall et depuis la chaîne de Livestream Taobao. Les consommateurs ont pu acheter certains articles vus lors des défilés et pré-commander des looks de la prochaine collection. Le salon Watches & Wonders, l’incontournable du salon horloger, a su se rendre accessible digitalement. Le défilé Dior a été diffusé en livestreaming. En Chine, il n’y a plus de différence entre le online et le offline. Ils sont combinés avec la logistique et la data dans une seule chaîne de valeur pour un parcours et une expérience client 360. C’est le New Retail.

L’expérientiel luxe (« Experiential luxury ») semblait déjà être une tendance, mais émerge davantage après la crise du covid 19. L’usage des technologies (réalités augmentée et virtuelle, holographique) va transformer l’expérience digitale en profondeur, en plaçant le consommateur en situation quasi identique de celle d’un point de vente physique. La version 2.0 du Tmall flagship store répond notamment à ces besoins d’expérience 360 : recommandation de produits personnalisés, personnalisation du flagship de la marque, utilisation de technologies 3D, nouveau programme de fidélisation, contenu exclusif et personnalisé…

Mais le consommateur attend aussi des marques qu’elles soient éco-responsables. Car après la pandémie, il veut retrouver de la confiance et du bien être. L’éthique devient aussi importante que l’esthétique. Il recherchera surement de l’intemporel avec des pièces d’investissement, peut-être plus minimalistes ou durables. Sa consommation devient plus prudente. Les marques devront en tenir compte.

Quelles prévisions envisager pour le luxe en France ?

L’industrie du luxe en France est stratégique avec 154 milliards de CA (= 3 fois le CA de l’aéronautique). C’est aussi le 1er secteur d’export avec 50 milliards de CA. La reprise en France sera liée au retour de l’activité, à l’appétit des jeunes consommateurs du luxe et au retour des flux de tourisme internationaux. Puisque les millennials représentent 38% de la consommation des produits de luxe dans le monde, bien appréhender leurs comportements est vital. Et les comportements d’achats des millennials français et chinois sont différents. Les chinois sont susceptibles d’acheter du luxe sous l’impulsion de la stimulation. Ils sont très influencés par les social media, les influenceurs, les KOL. Alors qu’en France, ils consomment plutôt du luxe intermédiaire et raisonnent de façon plus analytique. Ils sont beaucoup moins influencés par les social media. Il faudra leur donner plus pour qu’ils s’engagent vis à vis des marques de luxe. Ils sont aussi beaucoup plus sensibles aux questions environnementales et sociétales. L’usage de la Data et de l’IA est décisive pour s’adresser à cette jeune audience avide d’expériences uniques.

La Chine a une avance par rapport à l’Europe sur l’utilisation de l’Intelligence Artificielle dans l’expérience shopping. Chez Alibaba, le Cloud computing permet de collecter, d’analyser et de fournir des informations sur les tendances du marché et d’avoir une photographie précise des consommateurs. En Europe, on est en retard sur la collecte de données non structurées (commentaires social media, importance des influenceurs, parcours multicanal). On se concentre davantage sur des données structurées (nom, age, historique d’achat…). Ce retard doit être comblé en prenant exemple sur le modèle chinois.

Une chose est sure, la reprise de l’industrie du luxe en France dépendra largement de la reprise du tourisme sur le territoire national. Car 50% des articles de luxe en France sont consommés par des touristes étrangers. Avec 2,2 millions de touristes chinois venus en France en 2018 et un panier moyen de 1452€ en 2019, l’avenir du luxe sera asiatique, et notamment chinois.