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Management : les secrets de la réussite. Rencontre avec le philosophe Charles Pépin

Et si la crise nous révélait de nouvelles facettes de nous mêmes et des autres. Et si la crise nous avait appris à manager autrement, à apprivoiser l’incertitude, à avoir le sens du risque, à faire confiance aux autres. Parce que tout ne s’anticipe pas à coup de data et d’intelligence artificielle, place à l’intelligence humaine et à la force du collectif… Rencontre privilégiée avec le philosophe et romancier, Charles Pépin, pour des échanges inspirants qui nourrissent l’âme des individus… et des managers… Management : les secrets de la réussite.

La rencontre, au cœur du collectif

Il faut avouer que l’être humain est paradoxal. Longtemps confiné, il n’attendait qu’une chose, goûter à la liberté, nourrir sa curiosité et retrouver famille, amis, collègues. Mais pour supporter cette attente, et surement par peur de la crise sanitaire, de ses impacts économiques et sociaux, il s’est accroché à ce qu’il est, en termes de valeurs, d’identité, de goût, de préjugés et de convictions. Sauf que quand on est fièrement ancré dans ses acquis, qu’on a peur de perdre ce que l’on est, et ce que l’on a, alors on n’est pas du tout lancé sur le chemin de la rencontre. Car l’intérêt de la rencontre est de devenir autre chose que ce que l’on est. « Rencontrer quelqu’un, c’est découvrir un autre point de vue sur les choses. Faire l’expérience d’un changement dans notre rapport au monde. »

L’homme cohabite avec ces deux dimensions. « Une dimension de désir et de curiosité vis-à-vis de ce qui est nouveau. Mais aussi une dimension de plaisir dans le confort des habitudes et des certitudes. » complète Charles Pépin. « Au sortir de cette crise, les deux forces vont s’affronter. Et je ne sais pas laquelle de ces deux forces va l’emporter. Cela dépend de nous tous. Il faut faire attention à ce que la force de vitalité l’emporte au sein de notre propre corps sur la force de frilosité. Et alors le changement que nous voyons en nous-mêmes, nous pourrons l’appeler de nos vœux au plan de la civilisation.« 

Les indissociables intelligences « individuelle et collective »

Le télétravail a révélé la force de l’intelligence individuelle. Une puissance décuplée une fois ces intelligences mises en musique de façon collective. Il faut déjà rappeler que toute intelligence humaine est par essence collective. Comme le disait Socrate, « la pensée est le dialogue de l’âme avec elle-même« . Et même lorsqu’on est tout seul, « on convoque des autres et de l’altérité« . On pourrait réduire l’intelligence collective à une somme d’intelligences individuelles. Pourtant, elle n’est pas qu’une addition. « Elle est précisément quelque chose de plus et c’est cela qui produit une véritable rencontre. » Les déboires de l’équipe de football PSG illustrent bien cette dichotomie. Considérer qu’une équipe de football équivaut à une somme de talents serait illusoire. « L’équipe n’a pas réussi à trouver une intelligence collective alors qu’elle recèle de plein d’intelligences individuelles. L’intelligence étant ici l’habileté technique de chaque joueur ou même son génie. »

Comment faire pour donner une chance à cette intelligence collective ?

Une des réponses serait de ne pas trop miser sur son intelligence personnelle. Et à la place, développer la curiosité, l’écoute, l’ironie, la relation humaine. « Si je suis trop sûr de moi, trop satisfait de mon intelligence. Si je suis trop suffisant, si je suis trop compétent, si je suis moi-même au fond, que voulez-vous qu’il advienne du collectif ? ».

Car il est vrai qu’en ce moment, deux forces majeures s’affrontent. Celle d’une identité forte et celle autour d’une croyance dans le collectif. Mais « ce qu’on n’a pas l’habitude de dire, ni d’entendre, c’est que véritablement pour libérer cette énergie du collectif, pour croire en nous, il faut peut-être que chacun cesse un peu de croire trop en lui-même. Il ne faut pas être trop sûr de soi. La véritable confiance, elle fait bon ménage avec le doute. Et puis d’ailleurs, peut-être que la véritable confiance, c’est une confiance en nous et pas une confiance en soi. »

Avoir le sens du risque

Même si ces derniers mois ont incité nombre d’entre nous à prendre des risques pour rebondir, nous n’aimons pas le risque. Nous en avons même une aversion qui nous pousse à le réduire. L’intelligence d’un dirigeant/d’une dirigeante sert à réduire le risque. « Mais toute l’ambiguïté, c’est de ne pas confondre la réduction du risque avec la réduction du risque à 0. Avoir le sens du risque (qui rend un homme ou une femme capable de décision et même de vision), c’est aimer le risque qui reste. Quand bien même tout a été fait pour le réduire« .

A ne pas confondre avec l’amour du risque. L’amour du risque « ce n’est que témérité de tête brulée éventuellement irresponsable« . Le sens du risque, c’est l’amour du risque qui reste une fois qu’on a tout fait pour le réduire. Et ce risque qui reste, « c’est la preuve que la vie ce n’est pas simplement ce qui s’anticipe, ce qui se prévoit. Mais aussi ce qui nous surprend, ce qui nous prend au dépourvu, ce qui nous prend par surprise. Ce qui est aussi une définition de la rencontre.« 

Faire confiance et lâcher prise

Le travail à distance s’est imposé. Même les entreprises les plus réticentes ont dû s’y contraindre, alors qu’on sait que 77% des télétravailleurs sont plus productifs. Toutes ont dû faire preuve de confiance mais pas toujours sereinement. Pourtant, la confiance n’induit pas un lâcher prise total. « C’est une confiance dans le fait que la prise que j’ai au début, au moment où je vais la relâcher, va produire ses effets« . Il ne s’agit pas de lâcher prise complètement. « D’ailleurs, ce qui met en confiance, c’est d’avoir une prise sur le réel. D’avoir les effets de son action, de son art, de son management. » Le lâcher prise permet de déléguer, de faire confiance.

La confiance, c’est une « alternance de moments de prise, de moments où on tient en main sa maitrise, et des moments où l’on s’abandonne aux effets de ce que l’on a initié et où l’on fait confiance aux autres, où l’on délègue et où l’on y prend plaisir à déléguer parce qu’on sait très bien que si l’on veut tout contrôler, je ne vais pas contrôler grand-chose. » Et le secret du pouvoir, que ce soit « le pouvoir politique, économique, le pouvoir charismatique d’un chanteur, c’est de ne pas avoir à tout tenir soi-même et de faire confiance aux autres pour que quelque chose comme une vague, une énergie, comme une onde vibratoire, continue de se propager alors même que moi je ne mets plus la pression, alors même que je cesse d’initier le premier mouvement« .

Aimer l’incertitude

Oui, le risque, mais aussi l’incertitude font peur. C’est une menace qui plane sur la maîtrise que toute personne veut avoir de ses actions. « Nous avons grandi dans l’illusion que, pour l’essentiel, l’avenir était certain, que ma carrière était certaine et que mes compétences étaient certaines, et qu’il y aurait un peu d’incertitudes à accepter. » Nous comprenons maintenant que la vie est essentiellement de l’incertitude. Et au milieu de cette « mer d’incertitude, nous pouvons tout au mieux essayer d’arrimer des petits îlots de certitude qui flottent comme ça au grès d’une mer, qui est bien plus grande et bien plus effrayante et excitante qui s’appelle l’incertitude, et qui s’appelle au fond la vraie vie« . Une des vertus de cette crise, est qu’elle « nous invite à changer notre vision de l’incertitude« . Tout n’est pas écrit à l’avance. Il faut apprendre à aimer l’incertitude, porteuse de bonnes surprises, de plus de liberté.

Charles Pépin est Philosophe et Ecrivain de plusieurs essais philosophiques, romans et bandes dessinées. Après Les Vertus de l’échec (2016) et La Confiance en soi (2018), il publie début 2021 La Rencontre, une philosophie aux Éditions Allary.