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Le temps de l’interpersonal branding pour les marques est venu

Entretien avec Jérôme Monange, Fondateur du LabLuxuryandRetail et conseil marketing et communication, sur l’avenir des marques de Retail, dans la nouvelle série “Demain Les Marques…”.

Les tendances de consommation constatées pendant la crise vont-elles perdurer ?

Je ne crois pas que les comportements des consommateurs, ni ceux des marques seront à jamais changés. La crise du Covid-19 vient révéler des choses qui avaient déjà été des signaux faibles ou des tendances de consommation déjà existantes. Elle agit comme un accélérateur.

Il est vrai que la pandémie a généré un glissement vers le e-commerce. Particulièrement dans l’alimentaire. Mais on était déjà dans un secteur en devenir. La France était déjà à la pointe du drive, et cette tendance n’a fait que s’accélérer. Le local est aussi un postulat qui s’affirme pendant la crise. Mais on savait déjà que 52% des français consommaient plus de produits locaux, et 44% plus de produits français, et ce depuis 3 ans (sondage Haris Interactive Cetelem). C’est alors la prise de conscience pour passer à l’action qui s’accélère.

En revanche, la crise nous a obligés à consommer moins. Il est légitime de se demander si cette tendance de réduction de la consommation va perdurer, si elle a généré un manque, si on va donner plus de sens à ses achats, ou privilégier d’autres achats… Toutes ça aura des impacts à plus ou moins long terme.

On ira peut-être jusqu’à se poser la question du rôle des marques de retail pendant cette crise. Un site e-commerce de Fast Fashion comme Zara est passé de la 22ème à la 62ème position (étude Joko) pendant la crise. La Fast Fashion nous est-elle vraiment indispensable ? Et dans cette logique de consommation locale, est-ce que le consommateur voudra plutôt privilégier le Made In France aux 3 chemises de Zara Made in China. Ces questionnements seront plus prégnants dans les mois à venir.

Le Retail peut-il repartir et bénéficier de la même attractivité que celle observée en Chine ?

La Chine bénéficie d’une clientèle de luxe moins impactée économiquement par la crise. Elle va représenter 50% du luxe mondial. Une croissance qui va permettre au secteur du luxe d’avoir un effet tampon par rapport aux impacts de la crise en Occident et aux USA. Le phénomène ne sera pas le même en France. Je pense qu’on n’aura pas envie de se ruer dans un 1er temps dans les magasins. On va surement continuer à consommer en ligne, particulièrement les millennials et les plus de 60 ans, qui consommaient déjà beaucoup avant la crise.

Pour autant, nous avons besoin de retour au social, de lien social. Et c’est le magasin qui crée ce lien, au contact des équipes de vente, pour y vivre une expérience entre amis. C’est le lieu d’expériences de la marque. Il y aura alors une hiérarchisation sur les achats essentiels, avec un lien social qu’on ira chercher. Puis dans un second temps, on reprendra du côté de la mode, et des achats plaisir.

Bien sûr, il faut faire en sorte que les équipes soient protégées sanitairement. Et offrir aux clients la sécurité nécessaire pour se déplacer en magasin. Des dispositifs de gestion des flux, pour le respect de la distanciation, de mise à disposition de masques et de gel sanitaire… peuvent être mis en place. Les managers doivent accompagner les équipes sur cette nouvelle donne.

Quelles seront les enseignes les plus pénalisées ?

Les enseignes qui avaient des problèmes de positionnement de gamme et de différenciation, qui ne se sont pas adaptées à la transformation numérique, vont mal subir cette crise. Leur disparition sera accélérée. Le groupe André est une des 1ères victimes de la crise. Symbole de l’alliance du digital et du retail physique suite au rachat par le pure player Spartoo, André avait pris trop de retard et n’a pas su prendre le virage du numérique. D’autres groupes vont souffrir, La Halle notamment. A contrario, toutes les enseignes qui ont su aborder la transformation numérique via le cross-canal et l’omnicanal pour répondre aux attentes des consommateurs seront les grandes gagnantes de la crise. En créant des liens entre les canaux, elles pourront justifier la visite en magasin du client, faire du drive to store. Le client pourra vivre une meilleure expérience qu’en ligne. Et l’enseigne profitera d’une marge optimisée avec moins de frais de port et des clients (28%) cross-canaux qui achèteront un produit supplémentaire lors de leur venue en magasin.

Quelles sont les expériences clients qui pourront faire revenir en magasin ?

Le magasin est le lieu privilégié pour faire vivre l’expérience de marque. dans un secteur où les offres se ressemblent souvent. Ce qui va créer la différence, c’est l’expérience, grâce à la connaissance client. Il va falloir créer de la valeur en magasin. Il faut trouver des raisons pour faire venir en magasin : créer des collections exclusives, des conditions nécessaires à l’expérience client (retailtainment)… Et comme il n’y a pas d’expérience client sans expérience collaborateur, il faudra réfléchir à une autre manière de réinventer le métier de vendeur. Le délivrer des tâches non productives (application pour faciliter l’encaissement). Voire créer un pôle vendeur ambassadeur, comme chez Macy’s, pour le faire évoluer en micro-influenceur de la marque sur les réseaux sociaux. On invente ainsi un nouveau rôle pour le vendeur, on l’implique davantage. Et on donne de la visibilité à l’enseigne avec de nouvelles possibilités de web to store par exemple.

Est-ce aussi une opportunité pour les marques de voir émerger de nouveaux modèles ?

La crise va mettre en exergue plusieurs choses : le phénomène de la seconde main, auquel Kiabi réfléchit par exemple. Un modèle gagnant/gagnant où le client qui vend chez Kiabi viendra aussi dépenser ses gains dans leurs boutiques. La beauté, paradoxalement a bien fonctionné pendant la crise, via les abonnements aux box beauté comme Birchbox. Il y aussi des postures de marques qui vont devenir importantes, d’autant plus si les budgets des consommateurs sont contraints. La valeur de la marque va alors justifier le choix de la marque. Le temps de l’interpersonal branding pour les marques est venu. La marque devra adopter un mixte de caractéristiques : les compétences en rapport avec son activité mais aussi les valeurs personnelles et interpersonnelles qu’elle porte. Au delà de l’expérience qu’elle délivre, le client s’interrogera sur son engagement pour la société. Et par ricochet son engagement pour le citoyen consommateur à court, moyen et long termes. Des engagements qu’elle devra traduire de façon tangible. Le consommateur pourra sanctionner les marques non éthiques et privilégier les marques les plus engagées.