Christian Vieira, Deloitte Digital « la nécessaire transformation orientée Expérience Client »
Entretien avec Christian Vieira, Directeur Expérience Client de Deloitte Digital, dans le cadre de la nouvelle série “Demain Les Marques…”, sur la nécessaire transformation orientée Expérience Client.
Pourquoi l’expérience client est-elle à réinventer ?
L’expérience client est un domaine en perpétuelle évolution. Et le contexte Covid a accéléré le rythme de cette évolution. Tout a changé ces derniers mois, dans nos sphères personnelles et professionnelles. Notre mode de vie, notre manière de consommer, notre manière d’interagir avec autrui, notre façon de travailler… Nous sommes à la fois consommateur, client, utilisateur, employé avec des besoins qui se sont affirmés ou transformés ces derniers mois. Du retail à la banque, de la restauration à la santé, le besoin de sécurité et le passage d’interactions physiques à des interactions virtuelles a transformé le business du B2C. Et a ouvert à de nouvelles expériences : le clic and collect en restauration, la téléconsultation avec son médecin… Les marques doivent donc faire preuve d’agilité pour comprendre ce qui a changé et s’adapter aux attentes des consommateurs.
Pourtant certains secteurs avec des business plus traditionnels ont encore du chemin à faire pour se réinventer et réinventer l’expérience client. C’est le cas de l’assurance, du manufacturing, ou du secteur public en France. Alors qu’on observe en Estonie que +99% des services de l’état sont disponibles 24h/7 pour un usager, nous n’en sommes pas encore là en France. Heureusement la vague de la transformation de l’expérience client et du digital est en cours. A l’inverse, le luxe comme le retail, dont l’ADN de l’expérience client est inscrit au cœur de plateforme de marque, semblent s’adapter plus rapidement afin d’activer de nouvelles expériences.
Quelles sont les nouvelles bases de la relation marque / client ?
La première c’est celle de l’authenticité. Dans cette quête d’une expérience client irréprochable, faire preuve d’authenticité est central. On observe un retour aux valeurs essentielles avec des consommateurs de plus en plus en quête de sens. Et qui privilégient une consommation toujours plus responsable. Cette prise de conscience n’est pas nouvelle mais s’est accélérée aujourd’hui. Ainsi 2/3 des consommateurs sont aujourd’hui prêts à privilégier un achat responsable plutôt qu’un achat disponible. Le driver n’est plus uniquement le prix mais aussi la qualité, l’origine du produit, l’histoire de la marque…
La deuxième est une tendance de fond qui s’est fortement accélérée : l’hyper-personnalisation de l’expérience client. On est passé d’un marketing de masse il y a quelques années à un marketing qui s’est progressivement orienté vers un ciblage plus fin. Avec la définition d’audiences toujours plus précises, permettant une personnalisation des messages par segment client. Les marques s’inscrivaient alors dans une relation bi relationnelle. Elles cherchaient de plus en plus à adresser des messages à chaque consommateur en affinant les audiences grâce à la data. On observe maintenant un passage vers l’étape d’après. A savoir un marketing non seulement one to one (un message spécifique pour chaque client), mais également en temps réel. Le consommateur attend ainsi de recevoir des messages uniques qui correspondent à ses besoins, avec la bonne offre de produits et services. Mais il s’attend aussi à ce que la marque soit capable de cerner ses attentes et ses canaux de prédilection, qui changent constamment. Avec à une démarche plus humaine ; aussi naturelle que dans une relation entre deux êtres humains. Les marques qui sauront proposer en temps réel la « prochaine meilleure expérience » et pas uniquement « la prochaine meilleure offre » réussiront à tisser ce lien fort et émotionnel qui permettra de fidéliser le client. A l’instar de Netflix et de ses expériences hyper-personnalisées reposant sur l’agrégation des profils spectateurs en temps réel, afin de personnaliser en temps réel les recommandations, les affiches qui raisonneront mieux auprès d’eux.
La troisième est – encore et toujours plus – digital, et des expériences qui ne peuvent plus se couper du digital. Le Covid a accéléré l’essor du commerce en ligne et notamment celui du commerce de proximité. Le taux d’usage sur mobile a connu des records sans précédent, et il continue sur sa lancée. Par exemple : En Chine, le temps moyen passé sur mobile a augmenté de 30% durant la pandémie. Cela situe l’enjeu grandissant du canal mobile. Il est temps de s’organiser pour délivrer en temps réel des expériences client qui soient omnicanal. D’autant plus les plateformes d’expérience client comme celles de Adobe ou de Salesforce sont matures.
Quels sont les 3 freins qui pénalisent la bonne orchestration de cette expérience ?
Je résume ces 3 freins avec les 3 C :
La culture : l’absence d’une vraie culture d’entreprise orientée client. Les organisations ont bien compris qu’elles devaient « penser client ». Pourtant elles pêchent encore faute d’une vraie évangélisation interne autour de ce client. L’organisation dispose-t-elle d’une vue d’ensemble des parcours client existants, de ses forces, de ses faiblesses ? A-t-elle défini une ambition client affirmée pour demain ? Est-ce qu’on place concrètement le client au quotidien au cœur des décisions prises pour orienter les choix à tous les niveaux ? Les organisations qui ont cette capacité à insuffler cet état d’esprit client ont un temps d’avance en termes de satisfaction client. Mais aussi en termes de capacité à se projeter sur l’expérience client de demain.
Les capabilities : il est important de bien identifier les compétences stratégiques à maîtriser en interne pour activer ces expériences. Depuis la compréhension des attentes du client jusqu’à ses activations marketing. On observe en effet un retour en interne de certaines compétences marketing. Les plateformes comme Adobe ou Salesforce permettent une vraie maîtrise des données en interne. Avec la possibilité de les analyser, de mesurer les audiences, de personnaliser les expériences client et de les mesurer.
La collaboration, qui est difficile à favoriser du fait d’organisations trop souvent en silo. On observe encore des organisations centrées sur le produit sans vue transverse sur le parcours client. Ou divisées en avant vente, vente, après vente avec l’absence de la gouvernance transverse pour fédérer le pilotage de cette expérience client.
Comment amorcer cette transformation orientée Expérience Client ?
Il n’y a pas de recette miracle. D’abord il faut un vrai sponsorship de la direction générale. Elle doit insuffler une vraie dynamique client. C’est une approche très top down. Ces plans de transformation d’entreprise centrés sur le client sont souvent portés par la direction générale ou de l’expérience client. Ils permettent de créer, de partager une vision cible claire de l’expérience client désirée à moyen et long termes, de la situation initiale, et de la trajectoire pour l’atteindre. Il faut que ça vienne d’abord d’en haut. Et les organisations qui ont réussi sont celles dont le message a été porté au plus haut niveau. Grâce à un cockpit de l’expérience client, ces messages sont diffusés à tous les niveaux de l’organisation. Chaque collaborateur au sein de l’organisation dispose d’une vue partagée de l’expérience client existante, de ses forces, ses faiblesses, de l’expérience désirée demain, avec des indicateurs clés autour desquels tous travaillent. Le partage de la vision cible est stratégique pour amorcer cette transformation.
Puis, il y a l’approche plutôt bottom up. Il faut se doter de nouvelles compétences pluridisciplinaires (métier, design, technologiques, data…). Elles sont à déployer au sein d’une organisation qui se veut la plus transverse et collaborative possible. Elle doit être capable de porter une capacité d’innovation autour de nouvelles méthodes de travail toujours plus centrées sur le client. Des centres d’excellence peuvent être créés avec des compétences autour de l’analyse de la donnée, du big data, de la capacité à comprendre ces audiences… afin de réussir à maîtriser en temps réel la personnalisation des parcours. Ca demande que les compétences les plus stratégiques soient en interne, et de les diffuser au sein de l’organisation.
Enfin, il y a le sujet des objectifs fixés au collaborateur. Nous constatons souvent qu’ils ont des objectifs centrés sur leur propre périmètre. Et pas forcément sur des objectifs collectifs centrés autour du client. Les indicateurs doivent être centrés sur le client, sur sa satisfaction, à chaque étape du parcours client. D’autant plus qu’une récente étude Forrester indique qu’augmenter la satisfaction client d’un point entraine un impact direct sur les différents KPI comme les ventes et l’augmentation des revenus. Il faut savoir récompenser la contribution à l’effort collectif – sans bien sûr tomber dans le travers de truquer les chiffres.
Réinventer l’expérience client ne pourra se faire sans cette transformation progressive des organisations en interne !