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E-commerce : comment retrouver la juste valeur de la livraison ?

Le commerce a longtemps considéré que la livraison était un service apporté au client. Le e-commerce a profondément changé le paradigme en faisant de la livraison un levier d’animation commerciale. Délai de livraisons raccourcis, frais de livraison offerts, frais de retour gratuits… tout est fait pour capter efficacement les clients du web, les rassurer et les guider sereinement vers l’achat. La livraison est devenue un levier business décisif, nécessaire pour convaincre les 55% d’internautes prêts à abandonner leur panier si les services de livraison proposés par le e-commerce ne leur conviennent pas. Mais à quel prix ?

La livraison e-commerce : un service dévalorisé

En matière de livraison, les consommateurs ont une perception très floue de la valeur réelle du service. La banalisation d’offres commerciales avec « livraison offerte » ne facilite pas les choses. Et même lorsque la livraison est payante, le montant facturé est loin de couvrir la totalité des frais engagés par le e-commerçant. En effet, les « frais de livraison » payés par le consommateur ne prennent en compte que le transport de la marchandise. Le traitement logistique de la commande, en amont de son transport, restant à la charge du e-commerçant. Une charge largement imperceptible pour les clients. Un enjeu qui n’a pourtant rien d’anecdotique.

Le 8 juin dernier, le Sénat a adopté la proposition de loi sur l’économie du livre. Sa mesure phare : forcer les grandes plateformes e-commerce (Amazon, Fnac…) à facturer les frais de port pour la vente de livres. Le feuilleton n’en est pas à son premier rebondissement. En 2014, l’état français avait déjà contraint Amazon à ne plus offrir systématiquement les frais de port pour la vente de livres. Le géant américain avait trouvé la parade en facturant la livraison au minimum légal : 1 centime. Ce centime facturé ne couvre évidemment pas les frais réels engendrés par l’envoi de la commande.

Mais le consommateur ne le sait pas, n’a pas conscience du coût de sa livraison voire considère la gratuité comme un dû. C’est la raison pour laquelle la législation française veut revenir sur le principe de livraison gratuite. Le Sénat a déposé une proposition de loi en mai dernier. Le texte recommande notamment d’adopter un montant minimum pour facturer les livraisons e-commerce. Si la loi passe, elle installerait enfin un standard là où chaque acteur édicte actuellement ses propres règles.

Aucun standard autour de la livraison

Si on observe les principaux acteurs e-commerce, la grande variété des modèles de livraison donne le tournis. Amazon propose la livraison gratuite dès 25€ d’achats. Il propose aussi la livraison express en un jour ouvré. Les clients peuvent également souscrire à un compte premium pour ne plus payer la livraison. Certains retailers présents sur le web adoptent des modèles mixtes : le click & collect peut être gratuit (Fnac) ou payant (Ikea) ; une commande e-commerce passée en magasin peut garantir la livraison gratuite à domicile quel que soit le montant (Chaussea). Alors que le groupe Estée Lauder aux Etats-Unis garantit une livraison dans la journée via l’application UberEats.

Et à la livraison s’ajoute encore la strate des retours clients. En 2020, une commande e-commerce sur quatre a fait l’objet d’un retour. Par le passé, le retour client était un problème pour les e-commerçants. C’est désormais devenu un levier business. Chez Zalando, le client peut bénéficier d’une option « Essayez d’abord, payez après ». Il passe sa commande, fait le tri au moment de la réception, puis renvoie les articles dont il ne veut pas. Ce renvoi est gratuit pour le client, mais il a évidemment un coût de traitement pour le vendeur. L’arbitrage est le suivant : ce service d’essai à domicile rassure le client dans son achat. Il doit améliorer le taux de transformation sur le site web. Mais là encore, le client n’a pas conscience du coût financier (et environnemental) réel de son renvoi.

L’ADEME résume bien le dilemme dans son rapport de janvier dernier : « Le e-commerce limite les déplacements des clients mais il facilite la surconsommation et les retours de produits, trop fréquents, qui alourdissement le bilan en démultipliant les transports. » L’empreinte carbone et la surconsommation sont des sujets auxquels les consommateurs sont de plus en plus sensibles. Une livraison express est un service attirant, mais elle implique le recours à des canaux de livraison très polluants, comme l’avion, qui risquent de poser problème aux nouveaux consommateurs de plus en plus engagés.

Au-delà de l’illusion de gratuité, un autre modèle e-commerce est possible

Le client est-il capable de comprendre les enjeux d’une livraison payante ? L’étude de Parcel Lab US Operations Experience Study 2021 offre un éclairage intéressant. Dans le e-commerce américain, 62% des e-commerçants n’offrent les frais de port qu’à partir de 35$ d’achats. Et les retours clients ne font pas l’objet d’un parcours « frictionless » ! Les deux tiers des e-commerçants requièrent d’abord un contact avec leur service client avant de proposer le renvoi. Ils sont aussi 43% à faire payer des frais d’expédition pour un renvoi. Autant d’éléments qui ne freinent pourtant pas l’essor du e-commerce aux Etats-Unis.

Et si la création de valeur ne reposait pas uniquement sur le modèle de gratuité ? Face au « tout, tout de suite », Veepee maintient une stratégie inébranlable. L’acteur e-commerce continue de faire payer sa livraison avec un délai d’un mois en moyenne. Dans la logique darwinienne du e-commerce, Veepee aurait dû être balayé par la concurrence. Pourtant les clients adhèrent à ce modèle. Veepee est aussi un exemple intéressant dans sa gestion des retours clients. Depuis mars 2020, le site propose un service de retour produits entre ses membres. Plutôt que d’effectuer des renvois de commandes, les clients sont invités à revendre entre eux les articles qui ne leur correspondent pas. Non seulement, cette option limite la gestion des retours (jusqu’à 10 millions de retours par an sur les 125 millions de colis envoyés). Mais elle améliore la relation client en proposant un service supplémentaire qui fédère la communauté des acheteurs dans une démarche de commerce responsable.

Vers une livraison plus vertueuse

L’accélération du e-commerce en 2020 change la donne cette année. Et le marché de la livraison est en train de se structurer autour de nouvelles logiques. Aux Etats-Unis Happy Returns a été racheté par PayPal en mai dernier. L’entreprise déploie des points de collecte, notamment dans les centres commerciaux, pour gérer les retours clients du e-commerce. Ce service facilite la logistique en réduisant les coûts et l’empreinte carbone de ces retours groupés.

En France, la plateforme Pick Me a effectué début juin une levée de fonds pour un montant d’un million d’euros. Son principe : une livraison collaborative dans laquelle le dernier kilomètre est parcouru… par le client ! Des particuliers assurent des points de collecte chez eux, où les clients viennent retirer leurs commandes web. Le drive piéton s’impose aussi, en particulier pour les enseignes alimentaires. Carrefour, Auchan et Monoprix l’ont déjà déployé. Ce service de livraison s’adapte aux horaires des clients et limite l’empreinte carbone des courses.

Une dynamique vertueuse qui souligne que les clients ont peut-être muri, et s’ouvrent à d’autres alternatives de livraison plus responsables, où la qualité du service prime sur le coût.